L’œuvre musicale de l’auteure-compositrice-interprète acclamée : le reflet d’un certain nombre de chapitres du récit de sa vie passionnante.
Parmi les passages marquants de son autobiographie, Stories I Might Regret Telling You, l’auteure-compositrice-interprète Martha Wainwright nous apprend que sa propre observation en dit particulièrement long sur elle : « Je ne suis pas tellement du genre Sophia Loren, mais plutôt du genre Anna Magnani.
Je sais que c’est ridicule de me comparer à l’une des plus grandes actrices dramatiques de toute l’histoire », affirme Martha par Zoom, tandis qu’elle tente d’expliquer le contexte de son message texte en riant. Elle s’exprime depuis le salon de sa maison à Montréal – un erratique bâtiment victorien acheté il y a 25 ans par sa défunte mère, Anna McGarrigle (du célèbre duo de sœurs Kate et Anna McGarrigle). Des centaines de chansons écrites par elle et sa célèbre famille y ont vu le jour, qu’il s’agisse de sa tante Anna, de son frère Rufus ou de son père Loudon Wainwright III. C’est également dans cette maison qu’elle a vu pour la première fois à l’écran la théâtralité déchaînée d’Anna Magnani, les sous-titres et tout le reste.
« Dans les films où elle était en vedette, par exemple L’Amore, je trouve que je lui ressemble vraiment, dans sa manière d’afficher ouvertement son fanatisme et sa fougue, affirme Martha. Elle avait le don de s’abandonner de manière si insouciante… [Elle] n’essayait pas d’être en contrôle de ses émotions ou de son art. Elle laissait tout simplement aller son côté sauvage. Je ne me suis jamais comparée à Sophia Loren, mais plutôt [à] Anna Magnani, [qui], bien qu’aussi belle, ne représente pas tout à fait l’archétype idéal de la sexualité féminine. Et moi non plus d’ailleurs »
Le fait que Martha fasse référence à ses liens avec l’actrice italienne n’est pas si décalé que ça. En effet, ni l’une ni l’autre n’a jamais étudié officiellement son art. L’actrice a d’abord été chanteuse, puis a fait ensuite du doublage, dans ses années de jeunesse et d’inexpérience – elle était en quelque sorte l’Édith Piaf de l’Italie –, apprenant comment donner dans le sentiment en interprétant des chansons romaines populaires aux airs déchirants teintés d’humour noir. Martha a elle-même enregistré une remarquable collection de chansons d’Édith Piaf en 2009 sur son album totalement en français Sans fusils, ni souliers, à Paris : Martha Wainwright’s Piaf Record. Également digne de mention, la manière dont la carrière de plus de 25 ans de Martha, comportant six albums, s’est mérité les éloges de la critique, à l’instar des scènes filmographiques d’Anna Magnani, grâce à des critiques telles que « débridé » (The New York Times), « herculéen » (Toronto Star), « puissance personnelle » (Pitchfork) et « avant-gardiste » (The Guardian). L’observation de The Guardian peut facilement s’appliquer aux chansons de Martha, par exemple BMFA. Accueillie plus d’une décennie après avoir été enregistrée, cette pièce a été subséquemment redécouverte lorsqu’elle a été incluse dans les trames sonores de la série gagnante d’un Emmy Big Little Lies de HBO et de la série Orange Is the New Black de Netflix.
Ce « phénomène d’œuvres adoptées tardivement », Martha a appris à composer avec au fil du temps, bien que, comme elle l’explique en détail dans son livre, elle en a été tourmentée pendant des années. « J’ai dû en venir au fait que certaines de mes chansons étaient mises en veilleuse, a-t-elle fini par admettre. Et il y a aussi ces « chansons divinatoires », ajoute-t-elle. Elles sont un peu comme des cartes de tarot… en ce sens qu’elles prédisent ce qui m’arrivera avant que cela ne se produise ». Dans son autobiographie, Martha clarifie quelles chansons donnent des indices sur la manière dont sa discographie a préfiguré cette œuvre autobiographique. L’une de ces chansons, sortie en 2005, s’intitule Far Away, que Martha a reprise régulièrement sur scène plus récemment. Les paroles – I have no children/I have no husband/I have no reason/To be alive/Oh, give me one (Je n’ai pas d’enfant, pas de mari, pas de raison d’être en vie, oh! donnez-moi une raison de vivre) – prédisaient une lutte pour la garde de ses enfants après la dissolution de son mariage avec Brad Albetta, son ancien bassiste et le père de ses enfants, Francis et Arcangelo (dont ils ont maintenant la garde partagée). « Sur tous mes anciens enregistrements, il y a des paroles qui parlaient de mon mariage difficile, alors c’est comme si on pouvait déjà savoir ce qui allait se passer avant que cela n’arrive, affirme Martha. Les chansons évoquaient de plus en plus les difficultés que je vivais. Le phénomène s’accentuait tellement que les limites entre l’art qui imite la vie et la vie qui imite l’art étaient devenues complètement floues ».
Dans un registre quelque peu contrastant, le premier extrait et la pièce titre de son plus récent album, Love Will Be Reborn, n’en était pas moins une boule de cristal sonore. Il a été écrit pendant une période sombre de sa vie, pendant que le litige du divorce était en cours, et malgré tout, on pouvait encore ressentir l’optimisme de Martha, comme le suggère le titre de la chanson. « Mon être intérieur savait au plus profond de lui que les choses allaient s’améliorer et qu’un nouvel amour allait naître, et c’est arrivé. Je me suis retrouvée à écrire une chanson d’amour pour la seconde moitié de ma vie et ensuite à vivre cette chanson ».
Quelque part après que son divorce a été finalisé, Martha a rencontré son partenaire actuel, Nicolas Deslis. Au plus fort de la pandémie, le duo a travaillé en étroite collaboration pour garder Ursa ouvert – le café et cabaret musical de Martha situé dans le quartier Mile End de Montréal. Pendant tout ce temps, elle dirigeait aussi la prestation de chansons sur les toits – des événements locaux en direct dédiés aux travailleurs de la santé. C’était pendant l’un de ces concerts spontanés que Martha a présenté une version saisissante de Message to Michael (renommée Message to Martha), qui a été popularisée par Dionne Warwick.
Cette performance a trouvé écho auprès des propres associations de Martha avec d’autres femmes empathiques et douées qui avaient ce pouvoir de voir le futur et de le chanter. Et ces voix peuvent encore être perceptibles dans les couloirs de la maison où elle a grandi et où elle vit toujours. Tout comme les devineresses de l’opéra Maria Callas et Renata Tebaldi et les marraines du rock et du folk Patti Smith et Emmylou Harris, Martha a fait des choix de carrière qui l’ont enracinée en tant qu’artiste iconoclaste dont l’art définit sa vie et vice versa. Et comme ceux qui ont pavé la voie avant elle, l’histoire de la vie de Martha devra être adaptée au grand écran. « Un film se trouve incontestablement dans mon jeu de cartes, souligne-t-elle. Dans mon scénario rêvé, Gaby Hoffmann et Maggie Gyllenhaal peuvent jouer mon personnage à différentes étapes de ma vie. Je peux jouer ma mère, et Rufus peut être joué par ce bel acteur qui a joué de la [batterie] Ruben Stone », poursuit-elle, faisant référence à Riz Ahmed, qui a été en vedette dans le film gagnant d’un Oscar Sound of Metal.
Outre ses ambitions cinématographiques, Martha a également l’intention de faire des tournées. Elle se rendra en Europe cet automne et sera de retour en Amérique du Nord pour faire des prestations spéciales inspirées de chapitres de son autobiographie, chanter ses chansons et ainsi que quelques-unes de sa mère, de son frère et de son père. « Il reste encore beaucoup à dire par l’intermédiaire de la musique et sur papier, mais je ne suis pas pressée, alors je pense que je prendrai l’année 2023 pour écrire, nous avoue-t-elle songeuse, soulignant qu’elle travaille à un nouveau livre, une œuvre de fiction cette fois. Je vais partager 45 ans de ma vie avec tout un chacun, alors peu importe ce que je vais pondre, il faut que cela soit significatif ».
Par Elio Iannacci – *This article originally appeared in INSIGHT: The Art of Living | Fall 2022.